A l'époque je n'avais pas osé vous le faire lire

DEBRIEFING NAV SOLO CARPENTRAS DU 17/08/05
Trajet prévu : AIX les Milles – CAVAILLON – CARPENTRAS (toucher) – MANOSQUE – AIX les Milles
Le 17/08/05
06h30 Le réveil sonne, mais bizarrement, je l’attendais depuis quelques minutes. Je n’ai pas beaucoup dormi, une insomnie assez mal venue m’a fait faire les cent pas jusqu’à 2h00 du matin. Je ne ressens cependant aucune fatigue, mais suis-je vraiment en état de m’auto-diagnostiquer !?. Une bonne douche, un bon café, je me force à manger une bricole, moi qui d’ordinaire ne déjeune jamais…Ma femme part au boulot, et me lance un « à c’t’aprem ». Elle y pense aussi, c’est sûr, mais on n’en parle pas.
07h30 Dernière vérification du matos OK, dernières observations et prévisions météo OK, je boucle tout et direction Aix. Sur le trajet, je me prépare mentalement, je commence la nav dans ma tête, j’entame une phraséo virtuelle en faisant le contact et la réponse. Je repense à tous les conseils de mon instructeur depuis le premier jour – flashback sur ce samedi 5 février, première heure en instruction chargée d’émotions contradictoires (j’suis pas fait pour ça, j’y arriverai jamais, mais cependant quel pied une fois là-haut…allez, j’me donne encore quelques heures d’instruction pour décanter tout ça, après tout je lui fais confiance, il me dira bien assez tôt si c’est pas la peine d’aller plus loin).
Déjà 6 mois se sont écoulés et c’est aujourd’hui le moment de vérité. Vais-je pouvoir m'en sortir seul ? Forcément, je ne me souviendrai pas d’absolument tout, mais l’essentiel est là : vitesse au manche, pente aux gaz, et dans l’ordre, assiette, régime, compensateur (j’risque pas de les oublier ceux-là, d’ailleurs, en vol j’y pense même plus, ça vient naturellement, c’est plutôt bon signe). Fais ton TRAC (phrase mémo à chaque point de report, Top chrono, Recalage, Altitude, Carburant), prépare tes fréquences, devance ton avion, fais gaffe à une éventuelle dérive, profite de tout répit pour vérifier tes paramètres, tes instruments…garde une oreille qui traîne sur tout ce qui se dit sur la fréquence.
08h25 Arrivée à l’aéroclub – personne – très beau temps – pas de vent – décision de voler. Ouverture des portes du hangar – vérification du carburant dans le DR315 : OK, 90 litres soit largement plus de 3 heures. J’ai prévu 1 heure et demie en voyant large donc c’est bon. Je tire celui-ci sur le parking, par chance il était juste devant la porte et le premier emplacement immédiat est libre. Ca s’annonce bien…j’économise le sucre, j’en aurai besoin là-haut…
08h45 Tout est prêt, la visite prévol OK, le temps est toujours aussi magnifique. Quelques avions sont au départ de la 33. Allez, je vais chercher les papiers de l’appareil. Mon instructeur arrive, vérif du log, derniers petits conseils et encouragements. Il est confiant, je le suis aussi, allez, maintenant ‘faut y aller.
08h58 Vérification de l’horamètre, démarrage moteur, tout est normal, j’écoute l’ATIS, info Alpha, c’est bien la 33, conditions impeccables. Maintenant la tour, OK, je roule jusqu’au point d’arrêt. Beaucoup de monde en attente, ce n’est pas plus mal, je fais mes essais moteurs, mes actions vitales, jusque là tout va bien. C’est du déjà fait, du déjà vu et ça réconforte. J’attends mon tour, j’en profite pour tout revérifier, bien caler mon chrono, le rapporteur, la carte, le crayon, le harnais, fermeture verrière, l’alti est au bon QNH, conservateur de cap OK, tout est bon…Bon sang, pourquoi tant d’anxiété, j’en ai déjà fait des décollages, au pire si je ne le sens pas je préviens la tour que je reste dans le circuit pour des tours de piste.
09h07 L’avion devant moi demande à remonter la piste, la tour me pose la question, négatif, pour moi ce sera un immédiat (après tout je suis seul, même s’il commence à faire chaud, j’aurai assez de Badin sur la longueur restante). Autorisation alors de m’aligner et décollage immédiat, je rappellerai à AN. Allez, c’est parti, je vérifie le cap avec la piste, plein gaz, les tours OK, à 90 je déjauge, à 110 je décolle, si panne avant je m’arrête, si panne après je garde 130 droit devant, si panne mineure je demande atterro d’urgence. Même seul je me récite à voix haute cette phrase apprise par cœur…
1000 pieds à l’alti, je rentre le volet, coupe la pompe, et déjà la report AN en vue, je continue la montée à 1500’. Il fait vraiment un temps magnifique. Je quitte Aix, à tout à l’heure, je switche sur Salon App., une charmante voix me donne un transpondeur, me fixe mon altitude, mes points de reports à rappeler. Tant mieux, c’est exactement ce que j’avais prévu de faire. Mes temps chrono sont parfaits aux reports SE, EA, N. Tout se passe vraiment bien, l’avion est bien compensé, l’aiguille de l’altimètre au millimètre, j’ai largement le temps de vérifier mes paramètres, de faire mes TRAC(s), bref que du bonheur.
09h24 L’Isle-sur-la-Sorgue en vue avec son immanquable coude de voie ferrée, et déjà la charmante voix me dit que j’arrive bientôt en sortie de zone, et que je peux quitter la fréquence. Et zut, moi qui voulais le lui annoncer pour montrer que je maîtrise, elle me facilite en plus le boulot. Remerciement, au revoir, je quitte tout en revérifiant mes paramètres, je vais monter à 2000’, plein gaz, tour d’horizon sur le tableau de bord avant de changer la fréquence pour Carpentras, et là je reste figé sur le commutateur de l’alternateur ! ce petit switch qui se planque entre la richesse et la batterie : il est en bas, donc sur A comme arrêt ! Sueur froide instantanée, machinalement je regarde mes gyros, tout en le mettant sur M je fais appel inconsciemment aux conséquences potentielles sur le vol, la batterie a tenu puisque j’ai la radio. Bon, trop tard pour réfléchir, je vérifie l’ampèremètre et sa petite aiguille qui s’agite et qui symbolise mes pulsations cardiaques (bizarre comme association d’idée). Bon je ne perds pas de temps, je fixe la fréquence de Carpentras, rien sur la fréquence, je m’annonce pour une intégration dans 3 minutes en arrivant par le sud. Toujours rien, tant mieux, je serai seul dans le circuit. Et je repense à ce pu… d’alternateur. Quel c.. ! J’avais tout le temps de m’en rendre compte bien avant ! Et je revois ma mise en route du moteur : bon sang, comment ai-je pu l’oublier ? En plus, j’ai forcément dû voir le cadran de l’ampèremètre, et je n’ai pas fait tilt. En tout cas, je me jure la prochaine fois de vérifier chaque cadran et chaque bouton en m’expliquant à voix haute à quoi il sert, même seul (surtout seul !).
09h27 Je survole l’aérodrome, bien au dessus de l’altitude mini, je sais exactement où est la manche à air, je là trouve du premier regard, elle pointe vers le bas, aucun vent, la météo avait raison. Je distingue juste un avion au roulage ; à surveiller, je ne serai pas seul. J’annonce mon intention de m’intégrer en vent arrière de la 31, je pointe la direction qui va bien et je commence à réduire pour perdre de la hauteur en faisant une grande boucle pour arriver en début de vent arrière à 1400’. Je ne quitte pas la piste des yeux, et là l’avion en montée initiale vire en vent traversier et se retrouve à ma perpendiculaire gauche. Il continu de monter dans ma direction mais je sais que nos trajectoires ne pourront pas se couper au même moment car nous sommes perpendiculaires. De plus il m’a certainement vu car j’étais devant lui, quoi que plus haut et il m’a semblé faire un écart à droite, comme s’il visait derrière moi. Et en quelques secondes, comme quoi ça va très vite, je ne le vois plus, je ne sais pas s’il est passé derrière moi, ou s’il est resté en dessous, bref je suis déjà en milieu de vent arrière et il est temps pour moi de me préparer au toucher. Avec tout ça, j’estime ma position trop proche de la piste, elle bouffe mon aile au ¾, je fais donc un léger écart à droite tout en ne sachant pas où est passé l’autre avion. Je continu de m’annoncer, et toujours ce silence à la radio. Je commence à pester contre l’autre avec sa dangereuse désinvolture par son silence radio. En fait pas tout à fait un silence car je perçois un léger bruit de fond bzzz bzzz. Serait-ce alors une panne radio suite à ma nav sans alternateur ? Machinalement je regarde la fréquence radio et là je vois 118.75. En un instant je comprends tout : c’est la fréquence d’Aix. Je vérifie sur mon log la fréquence de Carpentras : 118.175. Catastrophe, j’aurai dû afficher 118.17, ça me prend 1 seconde et d’un seul coup, retour à la civilisation avec 2 discussion en cours, dont une que je perçois et qui dit « ouais, pour moi j’te reçois 5 ». En fait je comprends que nous ne sommes pas 2 mais 3 dans le circuit. Très vite je m’annonce, déjà en fin de vent arrière, rien n’est compensé, je vais très vite, je casse ma vitesse, la pompe, un cran de volet, je m’annonce en base de la 31 et déjà je sais que je devrai remettre les gaz. Je ne sors pas les pleins volets, je suis trop haut pour rattraper le coup, je rentre le cran de volet et remise de gaz. J’annonce mon action et mon intention de refaire un circuit. Entre temps, les 2 autres avions ont eu le temps de faire leurs touchers sur la 31 « gauche ». Ce sont des ULM.
2ème circuit, nouvelle vente arrière, encore une fois trop près de la piste, je repère au sol une espèce d’étendue blanche comme une serre à ma droite, et je me dis que c’est ce que je devrais survoler pour être à bonne distance. Je sais que ce 2ème circuit ne sera pas plus glorieux que le premier mais je le tente quand même, je sors les pleins volets en base, pas assez de traînée. Mon instructeur m’a bien fait faire une fois un atterrissage grande vitesse et montré comment récupérer le plan de descente plus bas, mais le moment est mal choisi pour mettre ça en application. C’est ma première intégration solo hors du jardin d’Aix, je ne vais pas jouer au con ! Tant pis, je remettrai les gaz, je rentre tout, et m’annonce pour un 3ème circuit. Les 2 autres ULM sont bien plus bas et ne me gênent pas.
3ème circuit, je me concentre bien, je prends ma bonne distance en survolant le repère que je m’étais désigné. Bonne vitesse 130, 2000 tours, 1400’, distance de l’aile gauche nickel, bien compensé, actions vitales de vent arrière. En base, 1500 tours, pleins volets, 120 km/h, il descend tout seul, finale bien centrée (je souris en repensant à mon instructeur qui une fois m’a répondu en finale que j’étais tout sauf centré quand je lui disais que j’étais concentré). Le toucher arrive, rotation impeccable, je reste bien dans l’axe, un cran, plein gaz, mission accomplie, je redécolle.
A nouveau en vent arrière, puis j’annonce mon intention de quitter le circuit en direction de Manosque. Plus rien à la radio, je revérifie la fréquence, pas de raison qu’elle ait changé toute seule. En fait, les 2 autres se sont posés…
09h56 Montée 3000’, direction Manosque cap 110°, fréquence 120.55 (je la vérifie deux fois !). Il y a quelques échanges radio, des niveaux plus élevés, des passages de frontières (ah bon !?), rien dans mes parages en tout cas. Je prends contact, un opérateur me répond, je lui signale qui je suis, d’où je viens, ma position et mes intentions. Il me fixe un code transpondeur et me rappelle pour me confirmer qu’il m’a bien identifié. C’est bon, je suis suivi à la trace…
Entre Carpentras et Manosque, j’avais prévu un report (St Saturnin les Apt) à 10h04, à 5 km au nord d’Apt. Je pense l’avoir identifié au temps chrono, mais difficile en visuel car les villages sont bien moins distincts que sur la carte. Quand aux VOR(s), ils ne me donneraient pas la précision souhaitée. Je décide de me passer de ce point de report pour continuer à vue loin devant, en tenant mon cap. De plus, ça bouge un peu, bon rien de terrible, on a vu pire avec mon instructeur. Je garde toute mon attention sur les paramètres moteurs, le cap, la radio, et surtout le repérage d’un endroit accueillant en cas d’atterrissage forcé (y’en a pas beaucoup).
10h14 Manosque se dévoile au dernier moment après le passage d’un relief surmonté d’une antenne. J’informe la fréquence de mon changement de cap sur Aix, descente à 2500’. Le gentil-trôleur acquiesce, me dit simplement de prendre garde à la zone de Vinon.
A partir de là, c’est du réchauffé, j’ai fait ce trajet avec mon instructeur le samedi en revenant de Gap, pas de souci.
10h23 Pour la forme, un point de report au sud de Pertuis, intersection Durance-autoroute, et il faut déjà préparer l’arrivée sur Aix. Au revoir au gentil-trôleur de Marseille info, écoute de l’Atis d’Aix, toujours la 33, puis switch sur Aix TWR mais y’a du monde dans le circuit, difficile d’en placer une. Ensuite AN-2 mn, AN, vent arrière 33, actions vitales avant attérro, finale vent calme. Atterrissage en douceur (le fameux baiser de pucelle) mais un peu long à mon goût, au-delà du seuil décalé.
En résumé,
- la 1ère nav solo est beaucoup plus stressante que le lâcher
- grosse bourde durant la checklist (oubli d'alternateur)
- humilité, ce ne sont pas forcément les autres qui font des erreurs (mauvaise fréquence à Carpentras)
- difficile d'atterrir ailleurs que dans son jardin d'Aix quand les repères ne sont plus les mêmes
- sacrément content d'être rentré
Christophe.